|
pour que chacun atteigne le sommet de la montagne. |
"" Au demeurant, la « pédagogie
de la créativité » pratiquée et
théorisée par Rodari n'a rien de « didactiquement
agressif ». Est-il besoin de rappeler que, depuis de nombreuses
années, il milite dans le mouvement Freinet, mettant tout son
talent et tout son dynamisme au service de l'enfant ?
Son agressivité, il la consacre entièrement à
pourfendre chez l'adulte les idées reçues (anciennes ou
récentes), les clichés, la médiocrité
satisfaite, toutes les formes de conformisme, de dogmatisme, de
bigotisme, de la norme...
Quant aux « techniques »
suggérées dans ce livre, il ne faut pas les prendre
pour autre chose que ce qu'elles sont: une invitation, une impulsion,
une stimulation, un coup de pouce
initial. Le héros d'une nouvelle
d'Heinrich Boll intitulée Loin de la troupe (Le Seuil, 1966),
parlant des « cahiers de coloriage » de son enfance sur les
pages desquels « ne figuraient que quelques traits et parfois
même seulement des points à relier entre eux par des
traits », remarque que cela lui laissait une grande
liberté d'invention tout en la stimulant au départ.
« J'usais toujours largement, précise-t-il, de cette
faculté de transposition. Au
grand effroi de ma mère, d'une silhouette nettement
destinée à représenter un cuisinier je faisais
un chirurgien en train d'opérer.
Il est évident que la présence de quelques contours
auxquels des points habilement disséminés assignent une
certaine orientation autorise une liberté bien plus grande
qu'une page blanche, prétendu symbole de liberté
absolue, ardemment convoitée parce que censée laisser
toute latitude à l'imagination. »
C'est précisément ce que fait Rodari, mais en allant
plus loin, en montrant justement à l'enfant qu'il ne faut pas
craindre de faire éclater les stéréotypes, que
l'image d'un cuisinier est parfaitement
transformable et ne peut que gagner à être
transformée en chirurgien et en bien d'autres choses encore,
que l'acte d'imagination est une façon de prendre du recul par
rapport au réel, de remettre le monde en question, de le
modifier en profondeur.
Je voudrais citer Gianni Rodari: «
Du reste, que faut-il entendre par "gens sérieux" ?
Prenons l'exemple de monsieur Isaac Newton. Selon moi, c'était
un monsieur très sérieux. Or, un jour, si ce qu'on
raconte est vrai, il était paisiblement installé
à l'ombre d'un pommier, quand une pomme lui tomba sur la
tête. Une autre personne, à sa place, aurait
proféré quelques mots pas très convenables et
serait allée se mettre sous un autre arbre.
Au lieu de cela, monsieur Newton commença à se
demander:
« Pourquoi donc cette pomme est-elle tombée vers le bas ?
Pourquoi ne s'est-elle pas envolée vers le haut ? Quelle force
mystérieuse l'a attirée vers le bas ? » Une
personne dépourvue d'imagination, entendant de semblables
discours, en aurait conclu: « Ce monsieur Newton n'est pas
sérieux, il croit en des forces occultes, peut-être
croit-il que c'est un magicien caché au centre de la terre qui
attire les pommes.
Qu'aurait-il donc voulu, que les pommes se mettent à voler,
comme le tapis des Mille et Une Nuits ?
Bref, à son âge, il croit encore aux contes de
fées ! »...
Et pourtant moi je pense que si monsieur Newton a fait les
importantes découvertes que nous connaissons tous, c'est
justement parce qu'il avait un esprit ouvert dans toutes les
directions, capable d'imaginer des choses inconnues.
Il faut une puissante imagination pour
être un grand savant, pour concevoir des choses qui n'existent
pas encore, pour concevoir un monde meilleur que celui où nous
vivons et pour travailler à le
construire.
Je suis persuadé que les contes,
anciens et nouveaux, peuvent contribuer à éduquer
l'esprit. Le conte est le lieu de rencontre de toutes les
hypothèses: il peut nous fournir les clefs pour entrer dans la
réalité par des voies nouvelles, il peut aider l'enfant
à connaître le monde... »
""
Extraits de la préface de Roger
Salomon