La tour aux anglais

Par l'association "Damgan et son Histoire"


Situation
Description
Nature & Origine
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Situation

La commune de Damgan s'étend en bord de mer de l'embouchure de la Vilaine (rive Ouest) à la rivière de Penerf qui, elle même, forme la limite Est de la presqu'île de Rhuys.

Tout à l'ouest de la commune se trouve la presqu'île de Penerf qui a donné son nom à la rivière et, au sud-ouest de cette presqu'île, la Tour des Anglais cadastrée sous le numéro 73 de la section B, séparée de l'actuel rivage par une centaine de mètres de rochers assez plats. Elle appartient actuellement à la commune de Damgan.


Description

L'édifice comprend d'abord un soubassement tronconique d'environ 8,20m de diamètre à la base, 7,70m au sommet et 1,70m de hauteur. Hauteur et diamètre de base sont approximatifs par suite de l'irrégularité de la roche sur laquelle il est fondé. Ce soubassement est constitué de pierres appareillées, restaurées et rejointe en 1978 après qu'une très grande quantité de ciment eut été injectée en son centre. Il est à noter que cette hauteur correspond à celle de la falaise du rivage actuel.

Au dessus de ce soubassement est posé un autre tronc de cône de 3,80m de hauteur avec des diamètre de 5,60m et 4M. Les murs, de un mètre d'épaisseur, semblent construit en "pierres de la côte" (schiste arrachés aux roches voisines) à l'exception du tour de deux meurtrières, en pierres de taille de granit, situées à 2,50m au dessus du premier soubassement, en direction de la mer, sensiblement au sud et à l'ouest. Tout ce tronc de cône a été rempli à une époque inconnue, probablement assez ancienne, de sable et de galets pour alourdir l'ensemble et assurer ainsi une meilleure assise contre l'assaut des vagues.

Au dessus encore, un cylindre de 4m de diamètre et 9,20m de hauteur constitue le corps proprement dit. La porte d'accès (1,50m x 1,05m) est située à sa base vers le nord-est. Les murs d'une épaisseur de 1m délimitent un espace intérieur de 2m de diamètre, composé de trois étages séparés par des planchers soutenus chacun par deux poutres de 20cm au carré encastrées dans les murs. Ces murs sont creusés pour laisser place à deux cheminées, l'une au premier niveau vers le sud-est, l'autre au troisième vers le nord-ouest, ainsi qu'à trois lucarnes. Celle du premier niveau au sud-ouest face à la mer, celles des niveaux supérieurs au nord-est, au dessus de la porte. Ce corps principal est couvert d'une terrasse en forme de coupole aplatie de 4m de diamètre et percée d'un trou d'accès.

Pour couronner le tout, un parapet de 1m de haut et 0,25m d'épaisseur est soutenu par des corbeaux en granit encastrés à 20cm en dessous de telle sorte que le parapet a un diamètre intérieur de 4,60m. A l'exception du premier soubassement et des dits corbeaux, tout est recouvert d'un crépi relativement récent.

En 1910, une carte postale montre un escalier de pierre qui menait au sommet du soubassement et une échelle de fer qui arrivait à la porte. Ces deux facilités d'accès ont été supprimés lors de la restauration de 1978.

En 1920, une vue d'artiste, prise de l'océan, ne permet pas de connaître les accès à cette époque. Elle prouve cependant que l'aspect général était le même et présent un intérêt considérable tant pour le "fort" que l'on aperçoit derrière que pour le fait que la mer entourait déjà la tour dès cette époque (A.D. Morbihan 7529 et MS 1441 de la bibliothèque municipale de Nantes).


Nature et Origine

Avec un tel nom et les mâchicoulis qui font que certains parlent d'une tour "crénelée", on pense d'abord à une tour de défense construite par ou contre les Anglais. C'est ainsi que le journal du 26 mai 1973 en faisait remonter la construction eu 14ème siècle, quand le château de Suscinio voisin (7,5km) fut occupé par les Anglais de 1363 à 1373. Aucune justification de cette hypothèse n'a pu être obtenue auprès de la famille de l'inspirateur de cet article.

Très rapidement, il est apparu que le terme même "d'anglais" était un leurre. Le monument n'apparaît sous ce nom qu'après 1910, sur la carte postale déjà citée et ce nom ne fut repris sur les cartes géographiques officielles qu'après 1925. Auparavant, toutes les références parlent de la "tour de Penerf".

Peut-être ce terme d'Anglais vient-il d'un fait isolé qui se serait passé au tout début du 20ème siècle, époque de la triple entente, peut-être était-il sous-jacent dans la population mais il est curieux que les cartes officielles ne l'aient pas repris et surtout que le conseil municipal composé de gens très proches de cette population, de la mentionne pas sous ce nom dans ses comptes rendus de réunion du 19ème siècle.

Donc, tour de défense comme le suggèrent les meurtrières et les mâchicoulis ? Peut-être mais, emploi abandonné puisque ces meurtrières ont été bouchés et qu'un fort jouxtait la tour dès la fin du 17ème siècle.

Tour de guet sûrement car elle dresse ses quinze mètres de haut au dessus d'un paysage très plat et les chapelles voisines n'avaient que des clochers relativement bas. Par ailleurs, le service Historique de l'Armée de Terre à Vincennes nous apprendra (art. 4 - sect. 2 - chap. 3 - pièce 50) qu'en 1810 "Penerf a une tour ou vigie qui découvre assez au large, elle sert aussi pour l'entrée du havre, elle est très utile aux caboteurs qui surveillent de là les mouvements de l'ennemi et voient le moment favorable pour passer. Il est urgent de la réparer su on veut la conserver".

Mais enfin, et surtout un ancien phare. En effet, en 1915 dans le livre de la description des amers et balises, visible au Service des Phares et Balises de Lorient, elle est décrite comme "tour de phare tronconique". Aux Archives Nationales, le document F/14/20101 nous apprend que dans les amers au 1er janvier 1888, on trouve la "tour de Penerf dont le profil est celui des anciens phares, réparée en 1886, blanchie à la chaux". Ce profil d'ancien phare est également souligné dans un "pilote des côtes entre Penmarch et la Loire" datant de 1869 (A.D. Morbihan H4868).

Toujours aux archives du Morbihan, le document L787 nous apprend qu'en 1793, "la batterie de Penerf comprend un corps de garde, une poudrière, une guérite, un dépôt pour boulet et un phare..." Ce sera la seule fois où l'on trouvera ce terme au présent puisque auparavant le terme générique était plutôt "tour a feu" ou de "fanal". C'est ainsi qu'un écrit de 1753 conservé au SHAT de Vincennes (G153) nous dit "on a construit sur la pointe de Penerf une tour qui sert de fanal".

Le dernier document officiel est un appel d'offres émanant du présidial de Vannes et curieusement trouvé dans la série "clergé "des Archives Départementales du Morbihan (G841). Cet appel d'offres de 1692 est valable pour construire deux corps de gardes et "réparer outre la tour et fanal du dit lieu de Penerff et y faire le talus nécessaire pour la conservation de ladite tour". Rappelons à ce propos que le talus à cette époque est "une muraille qui diminue de sa grosseur quand elle monte" (Philibert de l'Orme).

Ce document confirme la carte du chevalier de Clerville datée de 1664 et conservée à la Bibliothèque Nationale (Port.40 n13) et qui porte très finement écrit le mot "fanal" sous le nom de Penerf. Ce mot est si finement écrit qu'il faut une loupe pour le lire et qu'il n'apparaît par sur la photographie ! Peut-être aussi voit on sur la carte de Tassin de 1634, une tour dans le dessin marquant l'emplacement de Penerf...

Si nous avons ainsi une limite inférieur de l'âge de notre tour, il faut chercher ailleurs - dans la littérature - des précisons sur sa date de naissance. Nous passerons rapidement sur divers écrits, qui outre le journal Ouest-France déjà cité, vont du bulletin municipal au dépliant du syndicat d'initiative en passant par la bouteille de vin de Bordeaux... Les estimations pour la date de construction vont du 14ème au 18ème siècle.

En 1902, Adrien Régent dans sa description de la "presqu'île de Rhuys" aperçoit la "tour blanche, ancien phare à la pointe du Diben", sans se prononcer sur sa date de construction. Plus anciennement, un anonyme de 1795 recommande "la construction de tours en maçonnerie comme on en avait établies dans quelques parties des côtes du temps de François 1er". Plus précisément, le comte Maudet du Penhoët, l'artiste qui nous a laissé la vue de 1820 signale que la tour a été construite sous François 1er, sur la terre ferme.

Dans les deux cas, on ne précise pas de quel François 1er il s'agit : du Duc qui régna de 1442 à 1450 ou du Roi qui régna de 1515 à 1547 la France et la Bretagne même si le rattachement officiel de cette dernière ne date que de 1532. Dans le premier cas, on ne peut même pas savoir de quelles côtes il s'agit : bretonnes ou plus généralement françaises ?

Dans les deux cas aussi, hélas, il n'y a aucune référence qui puisse appuyer une telle affirmation mais à défaut d'autres hypothèses plus plausibles nous ferons construire la tour sous François 1er et pour nous ce sera le Roi. Nous pensons en effet que dès 1800 le nom de François 1er évoquait plus Marignan, que Suscinio.

Il est vrai que le Duc qui séjourna souvent à Suscinio avait de bonnes raisons pour favoriser le port le plus proche de sa résidence, mais le Roi s'intéressa beaucoup à toutes les choses de la mer, développant notre marine, créant le port du Havre, envoyant Vezarran découvrir Manhattan et faisant entreprendre la canalisation de la Vilaine. On dit aussi que c'était le seul des rois de France, avec Louis XVI, à connaître un peu de géographie !

De plus, le célèbre routier de Garcie Ferrande composé en 1484 et consulté à la Bibliothèque de l'Arsenal (S3426) ne mentionne pas la tour. Il est bien vrai que mentionnant l'île Dumet pour le conduire à l'entrée de la "chenau de Redon", il semble se diriger directement de la Loire vers Hoëdic et Houat. Enfin, entre 1554 et 1557 Penerf est le port breton dont les bateaux sont les plus nombreux à fréquenter Nantes (skol vreiz - histoire de Bretagne - 1986 - 3ème partie - page 5).

Qui la construisit ? Les dix gros volumes du recueil des Edits de François 1er, le Roi, n'en ont pas livré le secret pas plus que les oeuvres de Philibert de l'Orme, architecte du château d'Anet. Dix ans de sa vie restent inconnus, mais nous savons qu'il fit durant un an une inspection des fortifications des côtes de Bretagne et qu'il portait intérêt aux ports de mer. Les états de Bretagne ont-ils participé au financement d'une telle installation hors de la portée du village de 40 "feux" qu'était Penerf à l'époque ?

Cette pauvreté de documentation est a rapprocher de celle concernant le château de Suscinio. Leur sort était étroitement lié jusqu'au moment de l'affaire des "cent associées", quand Richelieu voulait lancer l'ancêtre de la compagnie des Indes, le roi avait donné à ces "Cent associés" Rhuys et les ports et havre de Penerf.

Cette suzeraineté royale directe explique aussi pourquoi on ne trouve aucune trace de l'activité du port dans les nombreuse archives de la maison de Bavalan qui prétendait pourtant à la mouvance sur la totalité de la paroisse d'Ambon, dont "l'isle de Penerf".

Enfin, bien que le XIVème siècle soit momentanément exclus comme date de naissance à cause du prétexte invoqué, il ne faut pas oublier qu'à cette époque, Michel Mollet (Les gens de la Mer en Atlantique) signale des postes d'observation de 7 lieues en 7 lieues entre Dinan et Brest et des "hautes tours" d'une quinzaine de mètres entre Talmont et la Sèvre niortaise. Il n'est donc pas exclu que la tour ait fait partie d'une telle série existant en Bretagne sud, construite au XIVème et peut-être reconstruite au XVIème siècle !

Or, le plus ancien des phares encore existant est le phare de Cordouan à l'entrée de la Gironde (Cf René Faille). Il n'a été terminé qu'en 1610. Encore a-t-il été exhaussé au XVIIIème siècle.

Dans tous les cas, notre tour semble bien antérieur. Elle a été souvent menacée, principalement à deux reprises. La première fois quand Vauban a appuyé sa ligne de fortification sur Belle Île, Houat et Hoëdic plutôt que sur le continent. Sur ces dernières îles, il construisit des tours à mâchicoulis qu'on aurait pu croire de la famille de la nôtre, mais elles avait seize mètres de diamètres. Elles furent détruites par les Anglais en 1746.

La seconde fois, elle devait être remplacée par un phare moderne : c'était en 1837 ; on lui préféra le site de Penlan à 10km plus à l'Est, plus propre à guider les navires vers l'entrée de la Vilaine. Elle a donc très probablement conservé son aspect d'origine. La cheminée du 3ème niveau servait à entretenir un feu qui permettait de réanimer celui du sommet en cas d'extinction. Que brulait-on ?En 1643 le père Fournier, dans son traité d'hydrographie, mentionne déjà des lanternes de quelques flambeaux mais plus souvent des foyers de bois ou de charbon de terre et même des "réchauds de fer remplis de nipes trempées dans du goudran" (sic). LA tour de Penerf devait sans doute se contenter du bois de la proche forêt de Rhuys encore omniprésente. Elle ne fut pas équipée de lanternes à réverbération qui s'imposèrent dans la seconde moitié du XVIIIème siècle ; au début du XIXème, elle n'était plus qu'un amer et une tour de guet.

En conclusion, quel que soit le mystère qui entoure encore la date de sa construction, il est indéniable que la "Tour des Anglais" à Damgan est une ancienne tour a feux, ancêtre de nos phares construite vers 1540 ou avant, et à ce titre la plus ancienne sinon la seule existante encore sur nos côtes dans son architecture d'origine.

A ce jour, sa survie a été due à son utilité d'amer. Le développement des châteaux d'eau et de la navigation électronique rendant cette utilité de plus en plus aléatoire, il apparait urgent de sauvegarder cette partie de notre patrimoine en la classant parmi les monuments historique.


Damgan & son Histoire

Josianne et Maurice Berrier
6, rue Kérybel
Penerf, 56750 Damgan
France.


Mis à jour le 18 Novembre 1996.